Une silhouette encapuchonnée apparaît au détour d'une crête, et de son regard perçant l'homme contemple l'immense cité qui s'étale en contrebas, de l'autre côté de la rivière. Pride s'étend, immaculée et prospère, étirant ses tours scintillantes malgré l'obscurité. La cité brille tel un joyau étincelant de pureté, comme un flambeau se dressant pour défier la nuit. La route est encore longue, pourtant le voyageur commence à descendre la crête, après avoir jeté un dernier regard à son Léobras, somnolant quelques mètres en arrière.
Ses grandes enjambées eurent tôt fait de guider l'inconnu jusqu'à l'intérieur de la cité, et cela sans encombre. Son visage est familier aux gardes veillant aux allées et venues.
La silhouette se glisse dans une ruelle, comme pressée par le temps. La nuit la dissimule aux yeux de tous, tel un manteau sombre. Mais cette précaution s'avère inutile : hormis quelques insomniaques ou travailleurs nocturnes, la capitale dort du sommeil du juste. Les portes closes et les volets tirés empêchent la lumière de la lampe à huile du voyageur de filtrer à l'intérieur des maisons et de réveiller leurs occupants.
Sans un bruit, la silhouette découvre l'immense pilier au détour d'une rue. En haut se trouve l'Arcane de cristal, où l'attend le Conseil. Avec empressement, l'inconnu commence à gravir les marches, défiant la gravité qui tente de l'attirer vers le vide. Au terme d'une montée interminable à bien des égards, l'homme parvient enfin au sommet. À l'intérieur de l'Arcane, éclairée avec parcimonie par les soins de l'Illuminé, tapi dans un coin, l'individu rejette son capuchon afin de dévoiler son visage. Les membres du Conseil déjà présents reconnaissent les traits du nouveau général de l'armée Valyrienne, Garath Delgalion. Les traits tirés de l'homme témoignent de sa nuit difficile. Probablement a-t-il quitté la Caserne aussitôt après avoir reçu le message de ses supérieurs, quelques heures plus tôt. Les Léobras ailés se révèlent être de véritables merveilles de rapidité dans ce genre de situation critique.
Après avoir échangé quelques brèves civilités d'usage, Jabbart Huth prend la parole de sa voix caverneuse :

« Nous avons à parler, général. Depuis quelques temps, nous ressentons un irrépressible intérêt vis à vis de la surface. Le monde du dessus représente depuis trop longtemps une part d'ombre. Aujourd'hui, notre méconnaissance de la surface nous fait défaut, et il s'avère capital de remédier à ces lacunes. »

Au fur et à mesure des explications du chargé du commerce, les traits du général se plissent. L'homme semble ne pas partager l'opinion de ses supérieurs, mais se garde bien de leur en faire part. Cela ne serait pas approprié. Toutefois, lorsque le directeur de l'hôpital joint sa voix à celle de Jabbart Huth, le général sent ses convictions s'ébranler. Il ne peut décemment pas refuser d'obtempérer.
Après quelques secondes de silence, Garath Delgalion, général de l'armée Valyrienne, finit par hocher la tête. Et alors qu'il accepte, il sent le poids de sa décision peser sur ses épaules. Le général est un homme juste, encore jeune, aux principes certains. Mais la puissance hiérarchique est trop pressante pour qu'il puisse refuser.
Alors qu'il s'apprête à tourner les talons et rentrer à la Caserne donner ses ordres, Jabbart Huth l'interpelle une dernière fois :

« Oh, et, général. Il serait peut-être temps de sérieusement envisager que vous puissiez nous rejoindre, non ? Savoir qu'un éminent Traveler siège au Conseil rassurerait le peuple.
– Et vous êtes si charismatique... »

Garath Delgalion tourne les yeux vers la jeune femme qui vient de prendre la parole. Un sourire flottant sur ses lèvres pulpeuses, la Grande Prêtresse le dévisage sans vergogne. Dans ses prunelles brille une intelligence perfide et calculatrice. Le général n'est pas dupe. Ce n'est certainement pas pour son charisme ou sa prestance qu'ils le désirent parmi eux, mais pour le tenir à l'oeil et veiller à ce qu'il exécute bien les ordres qu'il vient de recevoir.
Prenant sur lui, le jeune homme s'incline légèrement et se contente de répondre :

« Il en sera fait selon vos désirs. »


Près qu'une quinzaine d'années s'est écoulée depuis ce soir fatidique. Forcé d'accéder aux requêtes du Conseil, le général Garath Delgalion a chargé certaines escouades de Travelers de patrouiller dans les galeries au Sud de la Caserne. Ces explorations ont pour seul but de découvrir des cheminées naturelles montant vers la surface.
Le Conseil, refusant d'avertir la populace afin d'éviter un soulèvement politique, a décidé de garder ces explorations secrètes. Seuls les Travelers aguerris sont au courant de ce qui se trame dans les bas-fonds du Val, ainsi que deux ou trois personnes influentes tels que les Hommes des Champs, à qui ces découvertes seraient profitables.
Pourtant, ça et là, certaines rumeurs se profilent... on raconte que le général de la milice, Garath Delgarion, ne serait pas aussi intègre qu'il le prétend. Que son poste au Conseil aurait été monnayé contre l'un de ses services. Le silence du général ne fait que confirmer les dires de ces gens médisants, mais bien peu croient déjà en ces élucubrations infantiles.

Pour l'heure, la paix perdure tant bien que mal, mais à quel prix ? Les Insurgés restent immobiles dans la pénombre, exclus des préoccupations mondaines ou villageoises. Cela fait longtemps qu'ils n'ont pas attaqué un village, le peuple Valyrien se surprend à croire qu'une stabilité définitive s'est installée. Mais tous ne sont pas de cet avis. Les manigances des Travelers et l'absentéisme flagrant des Insurgés pèsent lourdement sur le moral des plus méfiants.
Le silence du Conseil ne fait que rajouter à la tension déjà palpable. Il suffirait d'une étincelle pour qu'un véritable brasier ne s'élève dans le Val.